Ce fut le jour le plus étrange de ma vie, ce jour de
novembre 2015 ou j'ai poussé la porte du cabinet médical, sans savoir que ce
geste allait définitivement tout changer. Toutes mes belles certitudes
envolées, tous mes projets stoppés en plein vol. Ce temps qui passe et qui n'a
plus la même valeur. Ce temps à réinventer, à apprivoiser, à imaginer... ce
temps qui est compté.
Je regarde ma chevelure emplir la bonde de la douche,
j'avais espéré, mais je me suis trompé. Mes cheveux s'échappent par poignées,
le phénomène s'est accéléré, une nouvelle modification de mon image est en
route.
Mais je n'ai pas le temps de me préoccuper de cela. 21 jours
se sont écoulés et je suis attendu pour une nouvelle séance de chimiothérapie.
Mon bilan sanguin est tout juste correct, mais suffisant
pour accéder au numéro 8. L'oncologue est plus préoccupé par mon descriptif de
ces dernières semaines. Il propose de réduire les doses et de passer à une
séance chaque quinze jours. Cela ne m'emballe pas, mais il insiste, me disant
que l'on pourra toujours revenir à une autre fréquence. J'accepte le deal.
Ce qui m'inquiète le plus, c'est mon capital veineux. Qui
dit séances plus rapprochées, dit plus de sollicitations pour mes veines entre
les bilans et la chimio. Je n'ai pas de chambre implantable et ne suis pas prêt
à l'accepter. Je suis conscient du confort que cela peut amener, mais je
redoute le miroir qui va me renvoyer cette image d'un corps étranger fixé à ma
personne, me rappelant un peu plus mon état. Pourtant...
Je suis entre les mains de l'infirmière la plus expérimentée
du service. J'ai confiance en elle, elle qui prend systématiquement en charge
les malades non équipés de chambre implantable. Elle a le geste sur et le
regard acéré. Mais aujourd'hui, rien ne va plus. Elle sent la veine, mais
n'arrive pas à l'accrocher. Elle décide de changer de bras. Même problème.
Elle commence à me parler d'envisager une chambre
implantable, car le taxotère détruit mes veines et cela devient très compliqué.
Je vais avoir un gros travail à faire sur moi même pour accepter l'inacceptable.
Elle trouve le chemin après une longue séance qui me donne
des vapeurs! Direction la salle Pomerol ( encore) elles ne sont que deux à gérer tout le
service. Elles passent leur temps à courir, appuyées par une jeune étudiante
qu'elles ont cantonnée à une tache de surveillance, n'ayant manifestement pas
le temps de la prendre en charge.
La séance se déroule classiquement. Il n’en est pas de même
pour moi. Je me sens contrarié, agité, impatient. Cela me paraît interminable.
Je sors de l'hôpital dans le même état. Il faut dire que depuis la récidive de
mon cancer, le moral est très fluctuant. Je me sens animé par de la colère; je
ne supporte pas bien mes modifications corporelles. Mon esprit me joue des
tours!
Ces dernières semaines, plusieurs de mes frères de combat ont
vu leurs difficultés augmenter. Même si je ne connais pas bien ces hommes, j'ai
de l'estime pour eux et je suis chaque
fois profondément touché, mes yeux se brouillent à l'annonce de chaque mauvaise
nouvelle. Je ressens une colère
grandissante face à cette maladie, ainsi qu'un énorme sentiment d'impuissance.
J'ai lancé un appel au secours à ma coiffeuse préférée qui
répond promptement présente. Je regarde ma chevelure s'étaler sur le sol. Je
refuse le miroir pour voir le résultat. Je sais qu'l va me renvoyer l'image
d'un nouveau moi.
Cette semaine, je suis tombé par hasard sur une photo datant
de 2014, photo prise lors d'une randonnée dans les Alpes. J'ai mesuré les dégâts
induits par la maladie. Cette image me hante, en trois ans, je suis devenu méconnaissable. Je suis aussi incapable de
refaire cette randonnée, mon physique ne me le permet plus. J'évite
généralement de penser au passé, mais là je me suis laissé prendre! En clair
vous comprenez que je suis de nouveau en lutte avec mon image, je pensai avoir
résolu cela, mais il n'en et rien, une simple photo et tout se réenclenche!
Pour l'instant je ne me sens pas trop mal, hormis une énorme
fatigue qui me cloue sur le canapé pour des siestes obligatoires. J'essaye de
garder la tête haute, d'envisager parfois la situation avec humour, mais cela
ne fonctionne pas toujours. Je suis un peu planqué derrière mon armure de super
héros que je ne suis pas. Je ne suis qu'un homme avec ses forces et ses
faiblesses qui se bat pour survivre à défaut de vivre pleinement.
Je suis en permanence à jouer avec mes limites physiques,
car je ne supporte pas de rester inactif. Mon projet de van avance lentement
mais sûrement, j'essaye d'accélérer le mouvement, car j'ai une grande hâte d'en
profiter, mais la fatigue est un gros handicap.
J'ai souvent la sensation de me répéter sur ce blog, mais
comment faire autrement quand l'histoire se répète? J'espère simplement ne pas
trop vous lasser. En attendant la suite, je vais essayer de me réconcilier avec
mon image.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Pour vous aider à publier votre commentaire, voici la marche à suivre :
1) Ecrivez votre texte dans le formulaire de saisie ci-dessus
2) Si vous avez un compte, vous pouvez vous identifier dans la liste déroulante Commentaire
Sinon, vous pouvez saisir votre nom ou pseudo par Nom/URL
3) Vous pouvez, utiliser le formulaire de contact, être assuré d'être avisé en cas d'une réponse
4) Cliquer sur Publier enfin.