Inspirez, bloquez votre respiration ... respirez. C’est
simple, ce n’est pas douloureux, c’est rapide. Ce qui est douloureux, c’est la
suite.
9 juin 2017. Veille de mes 59 ans. Une année écoulée, à s’accrocher
pour rester dans la course des vivants.
Cette nuit-là, une brusque montée de température s’est invitée dans mon
quotidien. Un petit 38, sans raison apparente, comme cela, pour le fun.
Histoire de me rappeler à la réalité de la maladie. Comme la dernière fois, retour à la normale
avec un simple doliprane.
Ça y est, je retourne le sablier, pour une nouvelle aventure.
Des céphalées m’accompagnent tout au long de la journée, me scandant " bon
anniversaire". Bien sûr, c’est le week-end, et en cas de besoin il ne me
reste que les urgences.
Ce soir je suis invité chez des amis. Pas question de
manquer cela. Alors je m’accroche. Pas d’agitation, repos forcé pour être en
forme ce soir. Cela fait une semaine que toutes mes activités sont au point
mort. Je me sens épuisé; toute action me demande des efforts difficiles à
produire.
J’essaye désespérément de monter les réservoirs d’eau grises
sous mon van. Je n’y arrive pas, et m’épuise encore plus. Pour la deuxième fois,
je vais solliciter de l’aide. C’est pour le week-end prochain.
La soirée fut un régal. Penser et vivre autre chose que la
maladie. Le lendemain mon amie céphalée m’a accompagnée toute la journée, mais
qu’importe. Une soirée entre amis vos toutes les thérapies!
Je suis plutôt du genre obstiné. Alors je ne peux m’empêcher
de retourner sous le châssis de mon van. Une journée de lutte, et un des
réservoirs est enfin en place...mais a quel prix. Ma compagne est mécontente,
car je suis épuisé, à cause de mon
obstination. La fatigue aidant, je me suis blessé plusieurs fois, mais la rage
de vaincre a été la plus forte. Mercredi et jeudi, je traîne péniblement ma douloureuse
carcasse, payant les efforts de ces derniers jours.
Et puis il y a l’attente des résultats du bilan demandé pour
vendredi. L’anémie s’accentue doucement, mais sûrement. Cela n’arrange pas le côté
épuisement! Et voilà le résultat des PSA. La baisse n’est pas significative. De
39,14, je passe à 30,84. Pas terrible.
Le scanner approche. L’heure de vérité. Je suis serein, pour
l’instant. La série de chimio ne peut qu’avoir amélioré les choses. Restons
positifs.
Inspirez, bloquez votre respiration ... respirez. La machine
ronronne. Cela m’a semblé très rapide même pas le temps de rêver à la porte des
étoiles! Et voilà le temps de l’attente
.
Ma compagne se ronge les ongles; elle est étrangement éteinte.
Je me sens très calme. Mon nom résonne dans la salle d’attente. Nous sommes
conviés dans un petit bureau à l’écart. Mes alarmes se mettent à crépiter. C’est
la première fois que l’on nous prend à l’écart. Cela ne sent pas bon.
La nouvelle est annoncée sans ménagement. Le traitement n’a
pas fonctionné, votre métastase c’est étendue de manière significative, il faut
voir l’oncologue ... au revoir
Coup de massue entre les deux oreilles! En une fraction de
seconde, je viens de revêtir mon masque d’impassibilité. Je sais qu’aucune de
mes émotions ne passe sur mon visage. Ma compagne est effondrée. Elle essaye de
faire bonne figure, mais n’y arrive pas. J’essaye de la rassurer.
C’est en silence que nous rejoignons le cabinet de l’oncologue.
C’est en silence que je l’observe alors qu’il prend connaissance des résultats.
C’est la deuxième fois que je suis en mesure de lire sur son
visage. Je vois l’inquiétude, la lutte interne pour trouver une solution. Son
visage se marque, la réflexion est intense. Je reste caché derrière mon filtre
d’impassibilité, mais je suis suspendu à ces lèvres. Ma compagne ... je l’ai
perdue ...elle est dans une sorte de rêverie, le regard lointain, le visage
marqué. Je sais depuis longtemps qu’elle nie la réalité; mais la réalité vient
de la rattraper sans ménagement ... et cela me fait mal.
Après ce long monologue intérieur, mon ange gardien prend la
parole. Il est hésitant. Il m’explique qu’il va falloir changer de molécule; à
moins que l’on envisage différentes formes de radiothérapie, ou bien une
intervention chirurgicale, ou peut-être ... en fait, il n’en sait rien.
Il décide enfin de me donner rendez-vous vendredi pour une
chimio avec du Jevtana. Il prévient le service
de sa décision. La cadre refuse, car elle est surbookée. Il ne lui donne
pas le choix. Je vais être bien accueilli dans le service!
Puis il se retourne vers moi." Je présente votre cas en
commission lundi. Je vais voir ce que l’on peut vous proposer; pour le moment
je vous donne rendez-vous vendredi, mais je vous appelle si nous avons autre chose
à vous proposer". Je ne peux que donner mon accord, mais mon moral vient
de perdre cinq points brutalement.
Le retour se fait dans le silence. J’observe les Bordelais
sur les quais, aux terrasses des cafés, profitant de la vie. Je ne me sens plus
tout à fait de ce monde...
Sur le chemin de retour, ma compagne écrase quelques larmes
en silence. Je ne quitte pas mon masque, il me protège pour l’instant. Nous
devions prendre la route dans la semaine pour quelques jours de détente,
première sortie officielle du van. C’est annulé.
À l’heure où je pose ces quelques mots sur la page, mon
moral est au neutre. Je suis dans une période d’attente, ou mon sort est entre
les mains de la médecine. Je ne contrôle rien, je ne suis rien, je n’ai besoin
de rien, ou plutôt si, d’un peu d’espoir et de chance.
Je reprends le cours de ma vie, du moins de ce qu’il en
reste, l’histoire n’est pas terminée, ce n’est pas aujourd’hui que je fais mon
pot de départ. Aujourd’hui, je remets mon armure de samouraï pour affronter mon
destin.
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