La clinique,
le lieu qui chaque quinzaine, va constituer le décor, la scène, un ailleurs, un
autre espace temps ou va se jouer le combat orchestré par le médecin et les
infirmières. Je viens pour la trentième fois leur confier ma vie... ils vont
pouvoir jouer avec mon sang...
Dans la
salle d’attente, je guette discrètement, je scrute sans fin les visages. Dans
les reflets d’ombre et de lumière, je cherche les rides et les
éclairs de vie. Pour le patient que je suis, et que nous sommes, c’est la quête
éperdue vers un passé révolu, une illusion ? celle de la guérison, du retour à
la pleine santé.
Le premier
acte se déroule dans le bureau de mon ange gardien. Pour la deuxième fois, en
28 mois, il se rappelle mon nom. Sur l’écran de son ordinateur, défile le
compte rendu des RCP (réunions de concertation pluridisciplinaires). Malgré des résultats
biologiques en demi-teinte, le sésame vers la chimio m’est délivré.
Le deuxième
acte va se jouer au cinquième étage. C’est l’entrée en scène des « picadors ». Celles
qui sont sont chargées de planter l’acier dans le corps, afin de délivrer le
poison. Dés mon arrivée, je les cherche du regard. Elles ne sont que trois ce
matin.
Je distingue
tout d’abord une infirmière d’un âge certain, qui, généralement, n’écoute
jamais ce que je peux lui dire. il y a aussi la cadre du service, qui n’intervient
jamais dans la salle de shoot. Son rôle est de distribuer les rendez-vous,
gérer les plannings et parfois de distribuer les casques réfrigérants. Au fond
du couloir, une jeune picador, qui, je l’espère va me
prendre en charge.
Salle d’attente
again. On se croise, on s’évite, on se frôle, entre deux portes on se sourit,
on lâche quelques mots...
À travers une vitre, je m’oublie. je vois dans
la rue ces petites fourmis, qui s’agitent dans tous les sens pour remplir leur
existence mécanique.
Mon nom résonne dans
le couloir et je suis convié a me rendre dans la salle de shoot la plus
éloignée, et de m’y installer.
Lorsque « EL PICADOR »
est entré en piste, le temps s’est arrêté… la cadre du service ! le choc traumatique
subi par l’animal que je suis a-t-il pour but de me tester dans ma bravoure ?
« El picador » n’est guère
pressée à l’idée d’en découdre. Je décide de lui présenter ma
plus belle veine... soyons positifs, elle va y arriver !
Pose du
garrot, elle tapote, tapote, tapote... la veine gonfle, gonfle, gonfle... la
banderille s’approche, sa main tremble, moi aussi. L’acier plonge dans le bras,
transperce la veine et le bras ! La banderille semble alors prendre feu et la flamme
brûle jusqu’au vif.
Mais elle ne s’arrête
pas là, fouille et fouille encore. Puis sort brutalement l’aiguille et dit sans
me jeter un regard « je vais chercher ma collègue » me laissant là, le garrot a
peine défait une grosse compresse sur le bras avec la mission de faire
compression. C’était la pose de la banderille et l’estocade à la fois ! la
trentième fêtée généreusement !
La jeune infirmière
prend le relais, à mon plus grand soulagement. La perfection et la maîtrise du
geste technique, qui dévoilent l’adresse, la grâce de la personne et son
pouvoir de domination sur ces moments délicats ou l’estocade doit être pure,
propre, nette.
J’apprécie
ce moment ultime ou elle sort victorieuse, ayant surmonté ses angoisses et ou
généralement elle exprime son soulagement, avec un sourire.
El picador
number one va encore sévir au moment du retrait de la perf. A la hussarde ! la
douleur est encore présente au bout de deux jours. C’est la dernière fois qu’elle
s’approche de moi, je peux vous l’assurer.
Le troisième
acte est celui du départ. Moment a partir duquel je vais devoir affronter seul
ce combat qui va se mener entre la maladie, le poison et mon corps. Et ce n’est
pas le plus facile.
Cette
semaine ma chevelure a décidé de me quitter. Un voyage en urgence s’est imposé
chez ma généraliste, car j’ai frôlé l’occlusion intestinale. La mucite a pris
ses quartiers dans la cavité buccale... Que du bonheur !
Mais je ne
vais pas me plaindre. On peut tout vous prendre, mais il vous restera toujours
vos rêves pour réinventer le monde qu’on vous a confisqué...
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