EPO

Je marche sur un fil, entre un précipice et un abîme, cela j’en suis conscient depuis le début. Pour ce temps gagné, je suis prêt à tout affronter.

Comme à chacune de nos rencontres, je scrute le visage de mon ange gardien, à la recherche d’un signe. Ce langage du corps qui laisse transparaître nos émotions, nos pensées...

Avec toi, mon colocataire, il n’y a rien de négociable, juste un combat, un combat jusqu’à la mort, la tienne de préférence, car moi, j’opte pour la vie ! même si depuis que je suis est né, je suis programmé pour quitter cette terre à laquelle je m’accroche tant !

Comme à chacune de nos rencontres, il consulte mon bilan, portant quelques annotations, impassible. Puis il y a cette petite moue, qui marque une inquiétude. Je l’ai lu ce bilan et la seule chose que j’en retiens est plutôt positive. Mais voilà, il y a la petite moue !

Cette vie m’appartient, tu n’as pas le droit de me la voler. Tu voles mes rêves, ma force, n’est-ce pas suffisant ! mais c’est quoi ce dialogue intérieur que je tiens avec toi ?

Comme à chacune de nos rencontres, il me donne la parole avant de s’exprimer. Son visage est jovial quand il évoque l’amélioration des PSA et du bilan hépatique, insistant sur le fait qu’il ne faut pas crier victoire, au cas ou je me ferai trop d’illusions !

Tu vois coloc, depuis que le soleil inonde nos campagnes, je retrouve de l’entrain, des projets. Cela te dérange bien ! Ce petit voyage prévu dans deux semaines, via le midi va encore me renforcer le moral. Ce projet de vélo électrique qui est quasiment abouti, va ma redonner du muscle. La reconstruction de mon fourgon pour affronter la bureaucratie va me donner muscle et moral, et toi... tu vas retourner dans ta cage !

Comme à chacune de nos rencontres, il va prendre la parole pour me donner le sésame... mais voilà, il ya un problème... la petite moue...

Espèce de gros malin de coloc, qu’as-tu inventé cette fois ! comment rien... ce sont mes armes qui se retournent contre moi ?

Comme à chacune de nos rencontres, il parle doucement, prudemment. « nous allons devoir organiser une petite transfusion, vos globules rouges sont tout juste suffisants pour aujourd’hui »

Je ne l’ai pas vu ! cela a été occulté par les résultats positifs. Il me donne aussi la possibilité de prendre de l’EPO, comme les cyclistes ! Cela tombe bien, je vais acheter un nouveau vélo ! a moi les records ! Eau, Pastis, Olive comme ils disent à Marseille !

Mais je dois tout d’abord décider dans l’urgence, et ça, c’est difficile. Mon esprit se brouille, je cherche du regard l’aide de ma compagne, qui est aussi troublée que moi. Je vois mon projet d’escapade vers Banyuls s’évaporer... Adieu les frites maison et les grillades... 

Je sais, ce n’est pas la priorité, mais les images se bousculent, et ce sont celles-là qui dominent, avec celle de mon colocataire qui se tord de rire.

Je vais opter pour les injections d’EPO. Le hic, c’est que cela fait réellement effet au bout de trois semaines, or la prochaine chimio est dans quinze jours.

En quelques secondes, une bonne part de mes projets viennent de se mettre sur pause, car c’est juste après la prochaine chimio que je devais prendre la route, cela va être tributaire de mon taux de globules rouges. S’il passe à 8 %, c’est la transfusion obligatoire, pas de négociation possible !

La petite infirmière, Hélène, va me poser la perf avec dextérité (c’est elle qui était intervenue pour me sauver la mise il y a quinze jours) elle trouve que mes veines ne sont pas si abîmées que cela. Discours dissonant avec celui de ses collègues.

Durant le trajet du retour, la discussion se focalise sur mes globules rouges. Décision est prise de modifier l’alimentation afin de favoriser l’augmentation de ces précieux éléments. Donc viande rouge à volonté plus toutes sortes d’aliments pouvant appuyer l’EPO.

La première injection va se faire dans l’après-midi, et le premier morceau de bœuf avalé dès le soir.

Internet, c’est généralement mon ami. Je vais donc me renseigner sur les effets de l’EPO. Voilà la douche froide et le rire appuyé de mon colocataire !

Effets indésirables dans le cas de cancer : Accident thromboembolique, hypertension, convulsions, œdèmes... De plus, traitement déconseillé en cas de cancer, car il favorise le développement des cellules cancéreuses. Donc, mauvaise pioche !

À ma décharge, l’onco ne m’a pas donné d’éléments pour me décider. Lui va me dire que je n’ai pas posé la question. Mais son rôle n’est-il pas de donner tous les éléments nécessaires à la prise de décision ? À moi de revoir ma communication. Poser des questions et surtout les bonnes questions, mais dans l’urgence, l’exercice n’est pas aisé.

La fabrique de globules rouges est en marche, résultats au prochain bilan. À retenir de mon post : poser des questions, toutes les questions !