Cette journée s’annonce compliquée, et cela commence dès le départ.
Une heure trente pour arriver à Bordeaux nord. La circulation dans Bordeaux est
de plus en plus complexe, il faut composer avec les embouteillages, puis avec
la difficulté à stationner. Aujourd’hui nous optons pour un stationnement
payant, car nous sommes limite au niveau temps malgré un départ à 7 h 30.
Cela rajoute un peu de pression à cette journée noire.
Ma compagne essaye de faire bonne figure. Elle s’évertue à m’accompagner
à chaque examen. C’est rassurant pour moi, pénible pour elle. Je sens bien chez
elle le stress, la peur et la tristesse qui l’habite. Elle n’en parle pas,
cherchant à me protéger.
Elle est souvent plus inquiète que moi, vulnérable. J’évite
de lui confier mes propres craintes, mes pensées toxiques. Malgré l’entourage,
je marche seul sur ce chemin, car, c’est mon chemin, les autres peuvent m’accompagner,
mais personne ne peut le parcourir à ma place.
Comment aider les aidants ? je sais qu’il lui arrive de se
confier à ses amies, cela doit l’aider un peu dans ce désarroi qui l’habite, ce
sentiment d’impuissance qu’elle a. contrairement à moi, elle n’accepte pas la
situation, croit toujours en la guérison, même si elle sait pertinemment qu’elle
est impossible, qu’il n’est question que de fixer la maladie pour gagner du
temps.
Je me sens aussi dans l’incapacité de l’aider, cela me
désole, elle vie la maladie au quotidien, c'est lourd à porter. Je voudrais tellement pouvoir la protéger. Alors je compte un peu sur
les gens qu’elle côtoie, c’est ma seule alternative.
Semer des mots sur cette page vierge, pour trouver mon
chemin. Semer les mots des maux, les effeuiller, mot à mot... Les maux
physiques, les maux psychiques, c’est ma thérapie à moi.
Je commence par le service de médecine nucléaire. L’infirmière
trouve que ma journée est mal organisée, le scan à 15 h 40, il est sûrement
possible d’accélérer cela, et par la même de poser un cathéter pour éviter de
me repiquer. Louable intention !
Elle contacte donc le service d’imagerie médicale, et
revient en m’annonçant que c’est réglé, après l’injection, je file au scanner,
ils vont me prendre rapidement. Donc pose de cathé au menu !
Je lui donne les consignes d’usage sur mes veines joueuses,
et les chemins praticables. Elle obtient la veine au premier essai. Mais voilà,
elle n’arrive pas à poser le cathéter.
Un peu d’eau dans la seringue pour forcer le passage... la
veine explose, suivie d’une douleur intense de type brûlure. Je me sens mal,
tout ce brouille, je dois être d’un blanc immaculé !
J’arrive à me reprendre alors qu’elle attaque le pli du
coude, lieu que je réserve aux bilans classiques. Bon, tant pis. Cela coince un
peu, mais le cathéter est en place. Injection du produit, rendez-vous dans deux
heures trente, je file au scanner !
Au secrétariat, personne n’est au courant. J’explique. Ce n’est
pas possible. J’explique encore, mais une sourde colère monte en moi.
Finalement, quelqu’un a eu l’information... mais ce n’est pas possible ! j’enrage,
il ne fallait pas poser ce cathé, dans cinq heures il va être bouché ! l’idée
me vient de l’enlever et de le poser sur leur bureau !
L’intervention de ma compagne, qui sent bien que l’explosion
est proche, va calmer le jeu. Un compromis est trouvé. Dès la scinti terminée,
je dois me présenter au scan, il vont se débrouiller pour me faire passer l’examen.
Je quitte la pièce en bouillonnant.
Un peu de détente ! Café, ballade dans le quartier,
tentative de reprise de contrôle sur mon humeur !
Il est temps de retourner à la clinique pour le passage de
la scinti. Mes bras sont toujours endoloris, le cathé me gêne. L’attente est
interminable, la colère ne me quitte pas !
Voilà, j’attends les résultats de la scintigraphie. Le
médecin me reçoit. Aucune évolution, les lésions sont fixées. Plutôt une bonne
nouvelle. Direction le scanner.
Au bureau, ils ne sont pas au courant ! Aaaahhhhh ! J’explique !!!.
Monsieur, vous avez rendez-vous à 15 h 40.... La bombe humaine se
réveille en moi ! je vais exploser ! mais voilà mon sauveur qui arrive in extremis
avant qu’ils ne fassent connaissance avec mon côté obscur !
Je suis pris en charge. Le cathéter est évidemment bouché,
mais mon sauveur va éviter de me repiquer en diluant le bouchon à l’héparine.
Il n’y a plus qu’à attendre...
Mes métastases sont fixées, elles ne bougent pas, sauf... la
petite dernière qui vient de prendre 1 cm et demi, et mesure donc sept Cm
et demi... Bad news ! La chimio n’a pas fonctionné sur cette dissidente.
L’oncologue consulte les résultats. L’hormonothérapie ne
fonctionne plus, mais il ne faut pas l’arrêter. La chimio n’a pas l’efficacité
escomptée. Ce qui est vraiment embêtant, c’est le foie. Il se demande si cette
lésion est du même type que les autres, ce qui peut expliquer l’échec de la
chimio.
Phase de réflexion. Après un moment de silence, il me
regarde et dit : « Seriez-vous contre le fait que l’on vous enlève un
morceau du foie ? » Dit comme cela, ce n’est pas une perspective qui m’enchante.
Vous allez consulter un chirurgien pour voir si cela est
possible. Il reste toujours une autre voie, une chimio embolisation de la
tumeur. À part cela, je ne vois pas d’autres solutions pour vous aider. Et il
précise, attention, cela ne va pas vous guérir !
C’est la phrase qui m’énerve chaque fois. Plus besoin de me
le préciser, c’est bien ancré en moi ! Pas de guérison possible, juste fixer le
cancer et attendre la prochaine récidive, jusqu’à ce qu’il n’y ai plus de
solutions, a part de tirer sa révérence.
Qu’est-ce que la chimio-embolisation ? Un peu d’histoire :
En temps normal, le foie est alimenté par l’artère hépatique et la veine porte,
soit une double alimentation. Lorsqu’une tumeur se développe, elle est
alimentée principalement par l’artère hépatique.
Le traitement consiste alors à envoyer une forte
concentration de chimiothérapie, directement dans la tumeur. Pour cela, on
insère un cathéter au niveau de l’aine, guidé jusqu’à l’artère hépatique, pour
délivrer la dose de chimio. Le but est d’obstruer l’artère hépatique et donc de
priver la tumeur de son alimentation, oxygène et nutriment.
Cette méthode semble avoir de bons résultats, ralentissant ou
arrêtant la croissance de la tumeur. Il arrive que la taille de tumeur diminue.
Cette forme de traitement peut améliorer le taux de survie.
Me voici à la croisée des chemins. Cela fait quasiment deux ans
que je combats ce fléau. Sur le champ de bataille, la plupart des positions
sont figées. La prostate continue à se débattre, gagnant un peu de terrain. Le
foie est le théâtre du conflit le plus important et dangereux. Il faut donc
sortir l’artillerie lourde pour reprendre le terrain perdu.
Je vais devoir faire un choix. La direction que je vais
prendre va conditionner la suite des évènements. Dans les deux cas, il me faut
peser le bénéfice/risque, sachant que la victoire ne sera pas forcément au
rendez-vous.
En cas d’échec, il est clair que le décompte va s’accélérer,
vu qu’il n’y a pas vraiment d’autres solutions. Dans le cas d’une victoire,
elle peut être éphémère, donc la lutte ne va pas s’arrêter.
Je suis très indécis. Il me reste quelques jours et quelques
rencontres pour faire mon choix, car je dois en faire un. Dans le cas où je
choisis de ne rien faire... échec et mat.
La chirurgie du foie est une opération assez lourde, non
dénuée de risques. Ce sont les conséquences de cette opération que je redoute,
mais comment faire autrement ?
Je dois remettre ma vie entre les mains d’un chirurgien,
situation pour moi inconnue, n’ayant jamais subi d’intervention lourde. Je ne
suis pas rassuré, mais je garde la tête froide, essaye d’analyser, comprendre,
m’approprier tout cela afin de l’aborder dans les meilleures conditions
possibles.
À partir du moment où je vais accepter, je ne vais plus rien
contrôler. Je suis totalement entre les mains de la médecine, et je n’aime pas
cette idée.
J’attends de ce post des réactions, des commentaires. Je
vais prendre tout cela avec beaucoup de recul, mais des visions différentes
peuvent m’aider dans ce choix.
Et puis, en attendant, je dois m'acheter ... un pyjama!
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