Into the wild, film culte, hypnotique, émouvant, que j'adore. Le héros
meurt à la fin en
bouffant une patate malveillante. Eh bien, me voici into the wild, dans la
jungle, ou ma patate à moi se nomme cancer.
« Ça va plutôt bien. Je suis fatigué, mais ne lâche rien » voilà la formule généralement employée lorsque l’on me demande des nouvelles. C’est pratique, m’évite de développer et correspond a ce que chacun préfère entendre dire, vu que je dois être courageux, battant, etc...
Mais voilà, je ne suis pas un héros, simplement un homme parmi des
milliers, qui subit une situation contre laquelle il ne peut rien. Un homme très
conscient de la réalité et qui sait que la mort est au bout du chemin. Ce que
je ne sais pas, c’est à quel moment.
Chaque phase d’évolution de la maladie donne des indications sur ce moment
fatidique. Les évènements de ces derniers jours ne me rendent pas optimiste.
Cela devient très compliqué.
En ce premier décembre, je suis reçu par l’oncologue. Il consulte mon
dossier, visiblement soucieux. J’ai vraiment le sentiment qu’il cherche à se
donner une certaine contenance avant de s’adresser à moi, et je ne me trompe
pas.
« Comment allez-vous ? » À question d’usage, réponse d’usage. « Vu la situation, physiquement, pas trop mal ». Sous entendu que pour le reste, c’est moins bon.
Il emploie un ton doucereux pour la suite, ce qui ne me laisse envisager
rien de bon. Il se lance !
« Le radiothérapeute ne veut plus s’occuper de vous, et le chirurgien non plus ».
Il m’observe pour voir ma réaction. Je reste de marbre, car je sentais bien qu’il
y avait un problème, mais ce n’est pas celui-là que j’avais envisagé.
Explication : Ces deux personnes me renvoient vers l’oncologue, car
ils n’ont pas trouvé de compromis. Chacun jugeant que l’opération comporte trop
de risque, car la tumeur est mal placée. Située sur le segment IV et V,
elle mesure 70X79 mm, ce n’est pas une grosse tumeur, mais plutôt une énorme
tumeur !
Qui a inventé ce terme de tumeur ! cela te met d’entrée dans l’ambiance. Et
là, c’est le cas, l’onco dit, si « on t’opère, tu meurs ! trop de risque
hémorragique, et personne pour l’assumer, ce risque.
Voilà qui résout mon problème de décision à prendre, vu qu’il n’y en a pas !
Je devrais être soulagé, mais non, car il y a la suite. Et là aussi, la suite, il
n’y en a pas !
Il affiche un mal-être extrême. Il n’a pas de plan B. Je peux vous proposer
de la radiothérapie... ou une chimiothérapie... ou... mais attention, pas de
faux espoirs, je ne vais pas vous guérir !
Voilà la phrase qui m’énerve ! alors je vais reprendre les rênes... cela
tombe bien c’est la période, bientôt Noël (humour noir !)
Je lui demande si une biopsie ne peut pas lever le doute qui existe sur l’origine
de la tumeur, et le fait qu’elle ai résisté a la chimio, et donc, donner
quelques pistes a suivre.
Il conçoit que cela peut donner quelques orientations thérapeutiques et permettre
de proposer une chimio plus ciblée. Affaire conclue. Va pour la biopsie.
Rendez-vous est pris pour le 15 décembre, à Bagatelle, avec un nouveau
radiologue, vu qu’il est en froid avec celui de Bordeaux nord.
Le voilà plus détendu, il me dit : » Il faut faire quelque chose, vous
êtes en relative forme physique, je ne peux pas vous laisser dans cette
situation. Dans le cas contraire, je vous aurai proposé une chimio palliative,
mais là, je vais faire de mon mieux. »
Merci patron ! Le combat continu.
Nous nous quittons sur ces bonnes paroles, nous donnant rendez-vous, après
la biopsie.
Entretien très éprouvant. À demi-mots, il m’a laissé comprendre que les
chances de survie sont très minces, arrivant même a prononcer le mot « mort »,
ce qui lui a visiblement coûté.
Moralement, je garde le cap, pas d’autres solutions. Je ne me suis jamais
fait d’illusion, mais le coup est difficile à encaisser.
Ce qui m’étonne le plus, c’est que j’envisage tout ceci froidement. 2018,
année de mes 60 ans, année cruciale, peut être la dernière pour moi. Et je dis
cela, sans état d’âme. En fait, je crois que quelque chose est déjà mort en
moi. Il n’y a ni haine ni colère, juste le froid...
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