À peine arrivé de ma séance de radiothérapie, je me jette
sur mon clavier pour consigner mes premières impressions. Je pénètre dans la
clinique par l'entrée du scanner, cela grouille de vie, je croise des médecins,
des infirmières, des secrétaires, des .... je ne sais quoi, mais tous ont le
pas décidé. Ils circulent parfois par deux, souvent seuls, le cartable à la
main pour ceux en civil. Une sorte de ruche. Des patients en attente, d'autres
en mouvement vers une autre partie de la clinique. Là, le pas est moins rapide,
souvent moins assuré. Certains visages sont fermés, d'autres souriants. Je
traverse les couloirs pour me diriger vers le sous-sol. C'est ici que sont
regroupés les cancéreux ( ce mot, je l'emploie, mais il me fait frissonner). Chaque
fois que je descends ces marches, cela me renvoie un sentiment de malaise. Le
sous-sol, c'est surement une raison pratique où je ne sais quoi. Ma sensibilité
m'incite à y voir un symbole négatif. Suis je le seul ?
Toujours est-il, que l'atmosphère change
brutalement. Ce n'est pas le silence, mais presque. Les files d'attente à
l'accueil, pas de bruit. Les personnes qui attendent l'oncologue, pas un mot.
L'attente pour la radiothérapie, chacun regarde ses pieds. Drôle d'ambiance.
Je suis très en avance. Trois sièges, une place
libre, mais une personne est debout et s'agite. Elle interpelle tout le monde,
fait de fréquents allez retour aux toilettes, mais pour boire. C'est le seul
qui met de la vie dans cet endroit. Je repère rapidement qu'il est accompagné,
par une blouse blanche, estampillée ch de Cadillac. Une collègue! Je n'y suis
plus employé, mais ce sont toujours des collègues! Je demande à ce monsieur
s'il ne veut pas s'asseoir, sa réponse est négative, je m'en doutais un peu. Je
m'installe au côté de l'aide-soignante qui l'accompagne. Je me présente et nous
échangeons quelques mots. Ce fut bref, car le radiologue les appelle quelques
minutes après. Je me demande comment elle va gérer la situation, car elle est
jeune, je ne la sens pas très à l'aise et le patient est particulièrement
instable. Allez, ne pas oublier que je suis à la retraite!
Un homme d'une cinquantaine d'années est assis à ma
droite. Il observe ses chaussures. Moi je les trouve très bien, ses chaussures!
il consulte souvent sa montre.Parfait, bonne occasion d'engager la
conversation. Je lui demande à quelle heure il a rendez-vous. Il me répond
laconiquement. Bon, ce n'est pas gagné! Je tente une nouvelle approche, nouveau
revers. Il n'est pas dans la communication, alors je décide de ne pas insister.
Je plonge mon corps dans une sorte de léthargie,
gardant mes sens en éveil. Se détacher du corps, permet au sens de se
concentrer sur l'environnement. Tout d'abord le regard, il capte les arrivées
et les départs, le foulard sur la tète de cette jeune femme, accompagnée de son
compagnon plein de prévenance. Cette vieille dame, seule, en difficulté pour se
déplacer, entrainée par son sac trop lourd. Les regards perdus, cette sorte de
retenue qu'il y a chez les patients, chacun attend, tourné vers l'intérieur de
son être, comme pour fuir les regards, masquer leurs souffrances.
L’ouïe capte les conversations, mais surtout les
silences. La salle d'attente de l'oncologue est bondée, mais le silence y règne
en maitre. Ce colocataire embarrassant nous prive-t-il de la parole? Dans de
nombreux cas, il semble que ce soit la réalité.
L'odorat. Et bien le mien est proche du zéro, donc
je ne perçois rien!
Le patient accompagné sort très rapidement. Je crois
que la consigne "ne pas bouger" n'a pas fonctionné! Il salue tout le
monde, toujours aussi expressif, pas du
tout stressé. En voilà un qui est dans la communication, mais il faut lui
courir après!
À mon tour. Deux nouvelles tètes inconnues. Une jeune
femme au visage un peu crispé, et un jeune homme au contact... très froid. Travailler
à la lumière artificielle ne semble pas propice aux contacts humains. Existe-t-il
une étude sur ce sujet? Ou bien la malchance me poursuit elle?
Ils n'ont pas profité du weekend pour repeindre la
salle ou graisser la machine! Je m'installe, tout se fait dans le silence. La
séance se déroule sans problème, pour la première fois mon esprit en profite
pour divaguer. Je me retrouve brutalement dans la pénombre, cela me sort de ma rêverie.
Est-ce normal. Surement, car rien ne bouge, la machine continue son travail.
Une voix connue me signale que c'est terminé, et j'aperçois le visage de le
radiologue de ma dernière séance, c'est rassurant, c'était elle aux commandes. C'est
avec délicatesse qu'elle m'aide à sortir de cette position inconfortable. Enfin
un sourire. Je quitte ce lieu, soulagé. Plus que 32 séances!
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